Réponse parfaitement précise, merci.
Pour les Turcomans, je ne résiste pas au plaisir de citer une thèse accessible gratuitement en ligne, d'intérêt majeur pour les joueurs de Cry Havoc.
Auteur Alain TAMI 2012
https://theses.hal.science/tel-00735126/documentLes ethnies :
Nous allons tenter d‟éviter les pièges posés par la simplification des termes désignant des catégories ethniques médiévales en réalité très complexes. En effet, souvent les textes
proposent des termes génériques pour désigner un groupe humain qui est en fait très hétérogène. Ainsi, le terme "Ifranğ" (Francs) des chroniqueurs musulmans pouvait concerner
dans le réel des Vénitiens, des Arméniens, des Lombards, et non exclusivement des Francs ; parallèlement, le terme "Turci" (Turcs) des auteurs latins pouvait désigner Turcs et
Turcomans en même temps 408.
La tradition d‟incorporation de groupes ethniques divers dans les armées musulmanes apparaît être un phénomène assez ancien409. Nous avons vu plus haut que déjà les Abbassides
enrôlèrent des contingents de Persans puis de Turcs. Le grand vizir seldjoukide Niām al-mulk fit même de cette tendance des armées musulmanes à être composites une règle à suivre
afin d‟obtenir la bonne organisation du dispositif militaire :
"Il est dangereux d’avoir une armée composée d’hommes de même origine. Ils n’auront pas l’esprit de l’effort et de la concurrence et la confusion régnera dans leurs
rangs. Il faut donc avoir des soldats de toute origine. Tel était le système du sultan Mamūd qui entretenait des armées d’origines diverses : Turcs, Khorassaniens,
Arabes, Indiens, Deïlemites, gens du Ghour. […] Ainsi en temps de paix, pendant les nuits les uns restaient tranquilles par crainte des autres et en temps de guerre, chaque
ethnie faisait tout son possible pour garder intacts son honneur et sa renommée"410.
Si l‟on connaît mal les détails tactiques des armées composites des Grands Seldjoukides , on sait simplement que ce conglomérat d‟ethnies différentes fonctionnait
408. Sur ce thème, voir A. Zouache, Armées et combats en Syrie, p. 200-204.
409. Carole HILLENBRAND, Islamic perspectives, p. 439-440.
410. NIM AL-MULK, Siyāsat name, trad. H. Dorke, 1968, Téhéran, in : Anthologie mondiale de la stratégie,
G. Chaliand, p. 526.
290puisqu‟il permit à cette dynastie turque de conquérir de grands territoires. Comme leurs prédécesseurs, après la conquête d‟une région, ils recouraient aux populations soumises.
Après que l‟Empire fut scindé en trois, chacune des branches seldjoukides perpétua la tradition d‟intégration de diverses ethnies dans ses armées411, ainsi, la branche syrienne, qui
eut affaire directement aux premières vagues croisées, comptait essentiellement trois groupes : une majorité de Turcs (Turcomans ou mamlūk-s), des Arabes et des Kurdes. Nous
avons déjà évoqué longuement les origines des Turcs ainsi que leur présence et leur rôle dans les armées musulmanes412, nous nous pencherons donc ici sur la présence des Turcomans
dans les armées seldjoukides au début du XIIe siècle, puis dans celles des Zankides.
Les premiers textes latins ne font pas la distinction entre les Turcs et les Turcomans, les deux groupes sont englobés par le vocable "Turci" 413 . Guillaume de Tyr, qui est natif
d‟Orient, distingue, quant à lui, les deux groupes, notamment en les hiérarchisant tout en leur attribuant une origine commune414. Évidemment, les auteurs musulmans ne confondent pas
Turcs et Turcomans.
Ce dernier groupe rassemble des tribus nomades ou semi-nomades d‟origine turque venant des steppes d‟Asie Mineure, certaines d‟entre elles arrivèrent en Syrie par vagues successives à partir de la seconde moitié du XIe siècle. Leurs relations avec les chefs turcs seldjoukides étaient complexes et souvent agitées, et c‟est en général l‟appât du gain (ils se vendaient au plus offrant, même chrétien)415, plus que la défense de l‟islam, qui motivait ces hommes à aider leurs employeurs, de plus, leur loyauté allait d‟abord à leur tribu,
ce qui les rendait d‟autant plus incontrôlables. Toutefois, en dépit de cette versatilité et de leur mode de vie assez rude, leurs qualités martiales, notamment à partir de Zankī, les rendirent
indispensables à la contre-croisade416. Il est vrai que dans un premier temps (au début du XIIe siècle), les tribus turcomanes étaient des hordes déprédatrices, militairement peu efficaces,
que les chefs seldjoukides voulaient canaliser, car elles mettaient en péril un équilibre géostratégique fragile417. Sous le règne de Zankī, le rôle des Turcomans dans les armées
musulmanes grandit, il les intégra pleinement au dispositif militaire. Il les installa dans des campements autour d‟Alep, ainsi, ils étaient à disposition des chefs militaires qui pouvaient411. Abbès ZOUACHE, Armées et combats en Syrie, p. 255.
412. Voir supra, p. 161-169.
413. ANONYME, Gesta, p. 37, 41, 43 ou encore 115.
414. GUILLAUME DE TYR, Historia, trad. F. Guizot, t. I, p. 15-16.
415. Les Turcomans se battirent en tant que mercenaires pour des chrétiens arméniens ou pour les Byzantins, voir
Y. Lev, Saladin in Egypt, p. 151.
416. Carole HILLENBRAND, op. cit., p. 441.
417. Jean-Michel MOUTON, Damas, p. 264.
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faire appel à eux à chaque instant. Cependant, Zankī ne put leur autoriser de s‟installer intra- muros. Ce refus est révélateur de la violence qu‟ils inspiraient encore 418 . Nūr al-dīn
prolongea, et même accentua, l‟association des Turcomans avec l‟armée régulière. D‟ailleurs, contrairement à son père, il accepta l‟installation de ces turbulents alliés dans Alep, où ils
purent créer leur propre quartier419. À partir de 1149, il n‟est pas un coup de main, pas une expédition effectuée par les troupes d‟Alep où n‟apparaissent les Turcomans420. Lors de la
troisième expédition de Širkūh en Égypte, ce dernier loua les services de six mille cavaliers turcomans avec une partie des 200 000 dinars que lui alloua Nūr al-dīn. Ce contingent
représentait la grande majorité de cette armée puisqu‟à côté d‟eux se trouvaient deux mille hommes de troupes régulières, ainsi que cinq cents mamlūk-s appartenant à Širkūh421. À
l‟image de ce dernier exemple, on peut affirmer que les Turcomans représentaient une force vive dont les chefs musulmans de la contre-croisade ne pouvaient se passer.Zanki :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Zengi