Effectivement, c'est un beau sujet ! Je partage vos points de vue.
Voici mon avis à chaud sur la question.
A) Je crois que là où les règles de commandement se sont développées avec le plus de succès ces dernières années dans les wargames, c'est au niveau grand-opérationnel / stratégique. A cette échelle, la simulation porte sur l'activité des généraux du QG ; les généraux de division étant extérieur à la simulation, et donc réagissant avec décalage et interprétation.
On sort de la préhistoire des wargames dans lesquels le joueur n'est plus une sorte de dieu omnipotent qui voit tout, entend tout et agit partout.
Mais c'est un cas facile - si je puis dire, car l'échelle de temps du niveau stratégique (qui se réduit avec les télécom contemporainnes) permet cette prise de récul et la modélisation des échanges : via estaffettes ou radio, satellites...
La simulation place le joueur dans le QG ; pas sur le terrain. C'est autre chose.
B) Au niveau sub-tactique qui nous intéresse, il n'en reste pas grand chose !
Nous connaissons tous le pragmatisme de Nelson lors du déclenchement des hostilités qui donne pour seule consigne quelques choses comme "l'Angleterre s'attend à ce que chaque homme fasse son devoir".
De commandement au sens large (qui comprend schématiquement deux volets : coordination et motivation), il ne reste alors principalement que le second : les effets du leadership, qui peuvent se traduire en moral, courage, motivation... et il ne reste plus grand chose du premier : la dimension "ordre de faire ceci à tel moment".
Ce facteur moral est néanmoins d'autant plus critique à CH qu'il me semble qu'à cette époque, les "désertions" d'une unité entière étaient monnaie courante, et ne suscitaient pas les mêmes jugement moraux qu'aujourd'hui (la guerre avait un autre sens alors ; sauf peut être pour les croisades d'ailleurs) : guerres privées, mercennaires, alliance familialle... Les compléments de Hervé dans Basileus me semblent très judicieux : les chevaliers, démontés, donnant en signal fort à leur troupe et à l'ennemi, par exemple.
D'ailleurs, les règles avec figurines gèrent bien ce coté non fiable d'unités alliées moins maneuvrables/commandables, capables de changer de camp... D'une manière générale, ces règles semblent bien être complétement structurées autour de l'idée que l'affrontement n'est que croissance inéluctable de l'entropie, et donc une désagrégation de l'ordre de bataille initial ; le jeu consistant donc pour les joueurs à retarder au maximum cette perte de contrôle (ce qui me fait irrésistiblement penser à Abalone d'ailleurs...).
C) Sans aller dans la direction des règles avec figurine qui (vues de loin) me semble être excessives sur ce coté modélisation de l'entropie, nous pourrions décider pour CH d'injecter une gestion de "moral". Les grandes orientations seraient (très classiquement) :
1) les évènements fastes à proximité spatiale (cases) et temporelle (tours), donnent du bonus (présence d'un chevalier ou d'un sergent ; combat victorieux, brèche dans une courtine, ordination d'un évêque...)
2) les évènements néfastes, du malus (pas de guerrier prestigieux, mort d'un proche...)
3) le niveau de moral de base est corrigé des éventuels bonus et malus, toutes les actions peuvent en subir l'impact (déplacement, combat, allumer un feu, infiltration...) de manière certaine, ou de manière probabilisée par décalage sur les diverses tables de résolution.
Les éléments ci-dessus correspondent à l'impact du niveau de moral sur des actions décidées intentionnellement.
Mais de plus, lorsque le niveau de moral atteint certain niveau extrême par exemple (en haut comme en bas), peuvent apparaître des actions non intentionnelles...
4) si le moral est au plus bas : fuite... Il existe déjà quelque chose dans CH.
5) si le moral est au plus haut : attaque à outrance (impétuosité diraient nos amis figurinistes). Nous avons déjà quelque chose avec le syndrome Bersek
Je ne fais que synthétiser ce que l'on trouve habituellement, la grande question c'est de trouver un mécanisme "simple" sur le sujet !
Mais Hervé a déjà quelque chose dans les cartons
D) Ensuite, il y a quelques éléments historiques qui ne sont pas bien modélisés. En particulier le fait qu'un chevalier combattait avec 2 ou 3 suivants ; et qu'un groupe de chevaliers, d'une même mesnie par exemple, combattaient à proximité... bref ce coté ordre de bataille sub-tactique, n'est pas pris en compte. Je comprends que cet ordre devait éclater après le choc, mais tout de même... idem pour les chevaliers qui chargent en formation serrée : cela requiert un minimum de coordination.
Enfin, je comprends que l'on ne voit pas très clair par la fente du haume, mais on assiste à des épisodes où l'on se rend compte que le roi par exemple est en facheuse posture, et où on vole à son secours... enfin il y a la ruse classique où un homme (courageux) porte les armes de son baron... pour déjouer les tentatives d'assassinats !
Tout cela n'est pas bien modélisé... Mais est-il souhaitable de prendre en compte tout cela ?
E) Enfin il y a le plus difficile : la coordination tactique.
En effet, ce qui est synthétisé plus haut est finalement simple : pour chaque personnage, on détermine son environnement (état mental et évènement extérieur), puis on ajuste ses capacités d'action. C'est fastidieux mais chaque personnage est traité de manière autonome.
En revanche, si l'on revient à l'autre dimension du commandement, la dimension "ordre de faire ceci ou cela suivant... à tel moment ou à tel autre", force est d'admettre que même au niveau sub-tactique, il y a quelque chose.
J'ai surtout en tête les coups de main combinés naval-terrestre de Jack Aubrey (le fameux marin anglais de l'époque napoléonienne, par O'Brian). C'est un régal. C'est transposable aux raids Viking par exemple. On voit bien aussi certains scénarios de CH qui tentent de mettre en scène des schémas dans lesquels il n'y a pas que gros bill A contre gros bill B... Il doit donc y avoir moyen d'extraire des règles génériques de coordination tactique.
Mais comment faire ?
Je n'ai pas la réponse ! Je vais donc donner quelque pistes de problème à traiter...
Tout d'abord, il est clair que nous ne sommes pas vraiment au niveau d'un engagement de 20 tours ; à 5 (voire 10) secondes par tour, cela donne 2 ou 3 minutes... pas grand chose à modéliser là !
En revanche, dans une échelle temporelle de l'heure, comme Siege le modélise avec les engins de guerre, il y a probablement des choses intéressantes à faire.
Il y a tout d'abord le problème de communication : il faudrait modéliser 3 ou 4 façons de signaler : oriflamme, sifflet (était-ce utilisé à l'époque ?), pigeons, fauconnerie, évènement de bataille : courtine qui s'effondre, début d'attaque au trébuchet, clameur des défenseurs ou des assaillants...
Ensuite, il y a la question du "fog of war" (je ne parle pas de l'incertitude du nombre de soldats via pions banalisés comme on trouve souvent) ; admettons que le plan tourne mal (et on sait que même les meilleurs ne résistent pas au choc de l'ennemi
), comment simuler la schizophrénie du joueur qui continue d'envoyer au casse-pipe son commando, qui ne "sait pas" que le maneuvre principale a été retardée ?
Est-ce que finalement tout cela est à réserver pour des parties en double aveugle avec plusieurs joueurs dans chaque camp ? Ou bien y-a-t-il moyen de mettre au point des mécanismes simples qui permettraient de s'afranchir de cette logistique ? Peut-être ces astuces ne sont pas vraiment généralisables et restent intimmement liées aux scénarios ?
Autant de mystères, chers amis, qui risquent de nous tenir en haleine pour quelques temps, mais laissons passer une petite page de publicité