Interview avec Alan E. Paull

La série

Alan E. Paull est un célèbre créateur de jeu anglais et est l'auteur de SIEGE. Il a conçu récemment des jeux comme Tara, Seat of Kings ou Confucius. Alan a été assez aimable pour discuter avec moi les 8 et 9 décembre 2008. Je vous livre ci-dessous la transcription de notre conversation.

Buxeria: Alan, je vous remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Cry Havoc Fan.

Alan E. Paull: Content de répondre à toutes vos questions. Joli site web, au passage.

B. : Pour commencer, je voudrais comprendre votre contribution à la série CRY HAVOC : si
Alan E. Paull, Concepteur de SIEGE

je ne me trompe, vous avez conçu SIEGE et SAMOURAI, et vous êtes l’auteur du premier livret de scénarios pour CRY HAVOC. Bob Gingell, un autre fan de Cry Havoc qui vous avait contacté il y a quelques années, vous cite comme l’auteur d’OUTREMER. Est-ce correct ?

A.P. : C’est moi qui est conçu SIEGE et le premier livret de scénarios. SAMOURAI a été conçu par Peter O’Toole; je n’était que le développeur et testeur pour ce jeu. Je n’ai pas conçu OUTREMER. Je devais l’être, à partir du moment où je devais reconcevoir l’intégralité du système de jeu, mais Standard Games m’a viré et l’a fait développer par quelqu’un d’autre sans me créditer et sans me demander ma permission pour l’utilisation de certains principes de jeu de SIEGE. J’étais contrarié, car nous avions développé un système de jeu très supérieur, que j’ai toujours et qui n’a jamais été publié. Malheureusement, OUTREMER n’était qu’une continuation des jeux précédants alors que le nouveau système aurait considérablement amélioré le jeu, avec des règles de charge plus réalistes, des règles de moral intégrées. Des règles bien mieux faites, en fait !

B. : Comment avait commencé votre relation avec Standard Games? Etait-ce « juste » une tâche alimentaire ou quelque chose de plus profond ? Avez-vous eu des copntacts avec les concepteurs originaux de CRY HAVOC, Gary Chalk et Tony Webster?

A.P. : Je débutais dans la conception de jeu quand j’ai rencontré les gens de Standard Games pour la première fois. Gary Chalk était un des dirigeants et j’ai travaillé avec Gary pour mon premier jeu – City of Sorcerers (mon premier jeu publié). Gary a été l’illustrateur de CoS. SIEGE était une commande de leur part, principalement car ils s’étaient engagés à produire un jeu avec ce titre mais n’avaient pas de concepteur pour le faire. Gary avait commencé à travailler sur le sujet mais n’était pas allé très loin, il quitta Standard Games après avoir terminé CoS et bien avant que SIEGE ne soit fini. J’étais (et suis toujours) un historien militaire (enfin, …amateur), donc j’avais pas mal de documentation sur le sujet et j’avais joué avec beaucoup de concepts de jeux militaires dans le passé. J’ai aussi un bon ami qui est une mine d’information sur la guerre médiévale et les châteaux en particulier. Je ne manquait donc pas de sources d’information, d’encouragement et de tests de réalisme. Donc bien que ce fut une œuvre de commande, j’étais ravi de la faire car c’était dans mon domaine d’intérêt. Je n’ai jamais eu de contact avec Tony Webster et Gary parti peu après mon arrivée dans la société.

B. : Pour SIEGE, quelle a été votre champ d’action en tant que concepteur ? Je sais que Peter Dennis dessina les personnages, qu’en est-il des cartes du château et du camp ?

A.P. : Toute la conception du jeu et le développement sont de moi. Les illustrations des pions et des cartes sont de Peter Dennis (que j’adore – il est sans doute le meilleur illustrateur anglais de jeux de plateau). Il est important de signaler toutefois que l’agencement du terrain et autre fait partie de la conception du jeu plutôt que de l’illustration. Peter a fait un superbe travail sur les dessins, j’aurais aimé avoir plus de temps pour travailler plus étroitement les interactions entre la conception du jeu et les illustrations mais dans ce cas, elles furent traitées séparément. Donc en ce qui concerne les cartes, j’ai montré comment l’ensemble devait fonctionner, et Peter se chargea de la partie créative. La difficulté pour ce jeu fut de tout faire en 9 mois, qui était le délai imparti pour des raisons commerciales. En temps normal, il s’écoule de 2 à 5 ans (parfois plus) entre le début de la conception et le produit, le temps de fabrication en plus. Tout faire en 9 mois fut difficile, même si nous avions la contrainte d’être compatible avec CRY HAVOC. C.H. n’avait pas de mécanismes de guerre de siège, ni de règles de morale qui sont essentielles pour apporter une touche de réalisme. Il fallait aussi concevoir le château lui-même. Je décidais, pour des raisons d’échelle de m’inspirer d’un château gallois frontalier : Skenfrith.

Skenfrith Castle
Le château de Skenfrith

J’aurais voulu utiliser le château de Bedford (il avait fait l’objet d’un siège royal célébre et bien documenté), mais il était trop grand pour l’échelle retenue. A ce propos, nous avons été critiqué par un client qui trouvait le château totalement irréaliste. En fait, la carte du château représente assez bien le château de Skenfrith, c’est donc un aspect du jeu qui ne peut pas vraiment être contesté !

B. : 25 ans plus tard (voire plus), quels sont vos souvenirs de ce jeu ?Y a t’il quelque chose dont vous soyez particulièrement fier ? Y a t’il des choses que vous auriez fait autrement ? Des regrets ?

Model of Bedford Castle
Maquette du château de Bedford

A.P. : J’étais content que le jeu soit terminé dans les délais, car ceux-ci étaient sans doute trois fois inférieurs à ce qu’il aurait fallu, tout en devenant un jeu très joué et apprécié. J’ai pris beaucoup de plaisir à le concevoir et le jouer. J’ai particulièrement apprécié l’approche graduelle des règles, qui le rendait beaucoup plus abordable que beaucoup d’autres wargames de cette époque; vous pouviez d’abord vous amuser avec les concepts de base avant de passer à des aspects plus complexes. De nos jours bien sûr, vous pouvez facilement vous passer de tout présenter d’une seule pièce, car même les joueurs occasionnels de wargames sont habitués à ce genre de présentation.

J’aurais préféré passer plus de temps sur le dévelopement du jeu, m’assurer que les phrases soient plus concises. Quand je conçois des jeux aujourd’hui, je suis pratiquement assuré de réécrire les règles complètement au moins trois fois.

B. : Auriez-vous dans vos archives des documents à l’état d’ébauche ou non publiés pour SIEGE que vous voudriez nous montrer ?

A.P. : Malheureusement non ! C’est aussi parce que j’ai un jeu sur les Croisades qui est terminé et que je voudrais produire bientôt, une fois que je l’aurai remis au goût du jour.

B. : Houlà ! Voilà qui est très alléchant et qui va enthousiasmer la communauté Cry Havoc ! Est-ce qu’il contiendra des concepts qui étaient prévu pour votre version d’OUTREMER ? Quand pensez-vous le commercialiser ?

AP: Nous ne sommes pas encore sûr de nos plans dans ce domaine. Nous finirons peut-être par produire un livret de règles, des cartes et quelques composants illustrés tout en laissant le joueur utiliser des figurines. Le jeu utilisera les concepts que j’avais développé pour le jeu de Croisades. Je diffuserai plus d’informations quand les choses seront plus avancées sur le site de Surprised Stare Games.
[Note : J’avais fait cette interview il y a 2 ans. Je viens de regarder le site web, mais pas de trace de ce jeu à ce jour]

B. : Je pense sérieusement que le succés de la série Cry Havoc au fil du temps est lié à la qualité des graphismes, et au système d’attrition des pions. Comment expliquez-vous que ces concepts ne se soient pas généralisés plus largement ? Je vous donne mes propres réponses :
- Les illustrateurs comme Peter Dennis ne travaillent pas pour rien, et le coût de production doit être élevé ;
- Standard Games possédait des droits d’auteurs sur le système qu’il aurait été très couteux de contourner ;
- Le marché s’est éloigné des jeux d’embuscade et ce concept n’était pas adaptable à d’autres types de jeux.

A.P. : Le coût de production était très élevé – Peter devait faire des dessins différents pour chaque personnage, ce qui fait beaucoup d’illustrations. Les matériaux utilisés étaient chers, et leur utilisation uniquement rendue possible car Standard Games était adossé à une société d’imprimerie. Je suppose que la qualité aurait pu être améliorée légèrement – disons en utilisant un carton plus épais pour les pions – et celà aurait encore augmenté le coût. Les droits d’auteur n’étaient pas un problème. En fait, j’ai gardé les droits de SIEGE. Je pense que le système aurait été facilement adaptable à des jeux de plateau avec figurines.

B. : Passons à quelques questions concernant SAMOURAIS, même si vous n’avez pas forcément toutes les réponses.  

A.P. : Notez bien que vous citer Peter O’Toole pour SAMOURAIS – j’étais seulement impliqué dans le développement ! Je ne voudrais pas que les gens se trompent et pensent que je l’ai conçu, même si çà ne me dérangerait pas !

B. : D’accord, donc dans ce cas vous étiez le développeur alors que Peter O'Toole était le designer. Quelle est la différence entre les deux fonctions ? L’une est plus « stratégique » alors que l’autre est plus « tactique » ?

A.P. : C’est le jeu de Peter O’Toole: Il l’a conçu et fait l’essentiel du développement ; j’ai juste aidé au développement et aux tests. Le designer est responsable du concept du jeu, de la conception des mécanismes et des différents composants, et typiquement de la première version des règles. Le développement de jeu est le processus consistant à prendre ces premières ébauches de jeu et d’en faire un prototype prêt à être imprimé. Ceci implique d’adapter plus ou moins les mécanismes, parfois d’essayer des règles complémentaires ou d’affiner des idées initiales. Si vous avez un bon concept de base, le process de développement peut en faire un excellent jeu. D’habitude, le designer a le dernier mot dans les décisions liées au développement (bien que certaines sociétés de jeu pratiquent différemment). Pour la série CRY HAVOC, le designer faisait aussi l’essentiel du développement. Certaines sociétés peuvent prendre le concept de base et mettre leur propre équipe de développement au travail – ce qui n’est pas le cas que je préfère. Il y a aussi des designers qui ne sont pas bons à l’écriture de règles, et ce n’est jamais une bonne idée pour un designer de faire uniquement confiance à ses propres capacités : il vaut mieux avoir une équipe pour vous aider.

B. : Quel a été le déclencheur pour SAMOURAIS ? Choisir le Japon médiéval à la suite de Cry Havoc n’allait pas de soi (et le manque de succès du jeu confirma que ce fut un mauvais choix après coup).Savez-vous qui a pris cette décision ?

A.P. : Je ne connais pas la réponse à cette question. Je suppose que c’était une commande de Standard Games à Peter, car ils voulaient poursuivre la série. Ce n’était pas un mauvais choix si on se souvient depuis du succès de jeux situés dans le Japon médiéval (Samurai, Shogun X 2, etc). Peter O’Toole avait fait un jeu 2e Guerre Mondiale pour Standard Games qui s’appelait “Speed and Steel”, il était donc connu de SG. J’ai malheureusement perdu tout contact avec Peter depuis 15 ans.

B. : Alan, merci encore pour ces informations étonnantes, et pour nous avoir offert tellement de bons moments avec SIEGE ces 25 dernières années !